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Agribusiness : Qui se cache derrière « L’ÉCHEC » du Projet BUKANGA LONZO

En Afrique, une personne sur cinq souffre de la faim ou de malnutrition, ce qui représente en moyenne plus de 250 millions de personnes.  Pourtant, l’Afrique a elle seule possède 60 % des terres arables non exploitées et pourrait pratiquement nourrir toute la planète.

Pourquoi la famine est-elle aussi présente sur ce continent  malgré ce grand potentiel ? 

Les conflits armés, les crises économiques et sanitaires,  les catastrophes naturelles, les conséquences de la pandémie de Covid-19 sont pointés du doigt car ils contribuent considérablement à l’expansion de cette situation dans de nombreux pays africains. Beaucoup de pays Africains n’ont en effet pas eu la chance de bien se développer.

LA FAMINE EN RDC

La R.D. Congo a elle seule peut nourrir environ 3 milliard de personnes. Pourtant  selon un rapport du plan national d’investissement agricole publié en mars dernier,  environ six millions d’enfants Congolais âgés de moins de cinq ans souffrent de malnutrition aiguë.

Bien que l’agriculture ne représente que 18% du produit intérieur brut de la RDC, elle constitue le principal moyen de subsistance de la majorité de la population, qui reste essentiellement rurale (60%). Malgré ses vastes ressources en terres et en eau, la RDC est structurellement un pays à déficit vivrier, devant importer pour un milliard de dollars de produits alimentaires par an.

LA RÉACTION DU GOUVERNEMENT 

En 2013, le Gouvernement Congolais a procédé à un diagnostic du système de production agricole du pays. Quelques problèmes furent identifiés, notamment la baisse drastique de la production agricole, la dépendance accrue aux importations, la surenchère des prix des produits importés, déficience nutritionnelle par provinces, etc.

Ainsi, le Gouvernement avait levé l’ option de promouvoir des filières agricoles et de l’ agri business, par la création des Parcs Agro-Industriels. 20 sites avaient été ciblés, répartis dans les 11 anciennes provinces de la RDC.

En 2014, la République démocratique du Congo (RDC) lançait un programme visant à créer 22 parcs agro-industriels à travers le pays sur plus de 1,5 million d’hectares (ha).1 Le premier de ces parcs a vu le jour la même année en tant que projet pilote à Bukanga Lonzo, à environ 260 km au sud-est de la capitale Kinshasa.

LA CRÉATION DU PARC BUKANGA LONZO

Créé dans le cadre d’un partenariat public-privé entre le gouvernement et Africom Commodities (A.C.), une société sud-africaine, le Parc Agro Industriel de Bukanga Lonzo occupe 80 000 ha de terres destinées à la production de maïs et autres produits agricoles. Le gouvernement a alloué 92 millions de dollars de fonds publics au parc, ressources devant être gérées par Africom. Les activités ont démarré en 2014, avec des objectifs de production ambitieux. Le parc était alors salué comme un projet révolutionnaire pour le développement du pays. « Le temps est venu de transformer l’agriculture congolaise d’un secteur de subsistance en un puissant moteur de développement économique global », déclarait le président Joseph Kabila Kabange, en célébrant la première récolte du parc en mars 2015.

Le parc agro-industriel fait 80.000 hectares. Pour donner une idée de grandeur : Berlin capitale de la République fédérale d’Allemagne a une superficie de 891 km², soit 8 fois Paris ou l’équivalent de New York, Berlin s’étire sur 38 km du nord au sud et sur 45 km d’est en ouest – 3,4 millions d’habitants.

LES CAUSES DE LA DÉBÂCLE

En 2017 soit trois ans après la mise en œœuvre du projet, tous les indicateurs étaient au rouge. Rien ne marchait. Du coup, le Ministère des Finances fait appel à la firme Ernest et Yong pour diligenter un audit. L’ audit met en lumière quelques lacunes sur la mise en œuvre du projet, dont voici les plus pertinentes :

1. Violation des droits fonciers et humains dans l’acquisition des terres

Selon les populations locales,  les officiels du gouvernement  étaient constamment confrontés aux représentants des communautés lors des réunions publiques. A l’issue de ces confrontations, les officiels ont fini par lancer l’argument ultime : « la terre appartient à l’État et non au peuple ». Pourtant, s’il est bien exact que la loi foncière congolaise établit que toutes les terres appartiennent à l’État, cela ne veut pas dire que les communautés locales n’avaient pas leur mot à dire dans l’attribution de leurs terres coutumières au parc. 

En réalité, l’acquisition de terres pour le parc s’est faite en violation des lois nationales.  

Les droits fonciers coutumiers sont reconnus par la loi congolaise. Selon la loi 11/022 du 22 décembre 2011 (art. 18), « Il est reconnu à chaque communauté locale les droits fonciers coutumiers exercés collectivement ou individuellement sur ses terres conformément à la loi. L’ensemble des terres reconnues à chaque communauté locale constitue son domaine foncier de jouissance et comprend des réserves des terres de cultures, de jachère, de pâturage et de parcours, et les boisements utilisés régulièrement par la communauté locale. ». La même loi qui établit la propriété des terres de l’État exige également, comme indiqué par les articles 193, 194 et 195, que l’attribution d’une concession foncière soit soumise à un certain nombre d’étapes et de procédures juridiques, y compris un examen physique du terrain, une identification de tous les propriétaires fonciers coutumiers, une consultation adéquate de toutes les populations concernées, un affichage et une information publiques, etc. 

Aucune de ces procédures n’a été suivie à Bukanga Lonzo. Les habitants n’ont pas été consultés et n’ont pas donné leur accord pour la création du parc. Au-delà des violations des droits fonciers coutumiers, la création du parc a conduit à de multiples incidents violents affectant les villageois de la région. Bien que la société ait embauché quelques centaines de personnes (entre 300 et 500 selon les sources), beaucoup ne venaient pas des villages adjacents au parc qui avaient perdu des terres pour le projet.

En conséquence, de fortes attentes ont été créées parmi la population locale, ce qui a amené de nombreux habitants à se rendre au parc avec l’espoir d’un emploi. Selon plusieurs témoins, cela aurait été à l’origine de nombreux incidents violents, les villageois locaux à la recherche d’un emploi dans le parc ayant été arrêtés et battus par la police.  Dans plusieurs cas, des hommes ont été fouettés, attachés à un arbre, face au tronc, dans une posture dite de « marié à un arbre ». Tout cela à conduit à des luttes perpétuellement qui ont fini par détourner les efforts qui devraient être alloués à la réalisation du projet.

2. Opacité dans la passation des marchés publics

D’ entrée de jeu, les auditeurs ont également mis en lumière le caractère opaque de la signature du contrat au mépris de la Loi régissant les marchés publics en RDC. Le contrat signé avec la société Africom Commodities Ltd était de gré à gré pour un montant global de 150 millions de dollars, violant ainsi la loi sur la passation des marchés en RDC.

En outre, ce rapport parle de : l’ absence d’appel d’offres lancé lors de la sélection des fournisseurs des différents équipements, principalement ceux achetés auprès des sociétés Michigan Equipment, BPI Manufacturing, Triomf Fertiliser et Desticlox ; l’absence d’un comité d’achat ; les prix pratiqués par les fournisseurs d’Africom Commodities Ltd ont été excessivement supérieurs à d’autres concurrents sur le marché international ; les critères de sélection des fournisseurs d’équipement n’ étaient pas documentés ni détaillés ; l’ absence de grand livre de comptes des fournisseurs pour raison de confidentialité ; l’ absence d’ application informatique pour la gestion des achats locaux ; les critères d’acquisition des biens ne sont pas définis dans le manuel de procédure.

3. Détournement des fonds

L’ audit a révélé qu’ aucun système comptable et financier, d’ organisation administrative, de gestion de stocks et informatique n’ a été mis en place localement afin d’ assurer un contrôle interne permettant une gestion efficace et transparente des opérations de la société. Les auditeurs ont noté que toutes les opérations de passation de marché, de gestion financière et comptable relative aux activités du Projet sont effectuées directement en Afrique du Sud au siège d’Africom Commodities Ltd.

En plus, l’ audit renseigne que le Gouvernement a effectué en 2014 deux paiements à la société DESTICLOX pour l’ amélioration de la route d’ accès au site Bukanga Lonzo. Le premier de 993 600 USD pour gravillonner 14,4 km (Coût unitaire 69 000 $US le Km), de la route nationale jusqu’’au site de Bukanga Lonzo et le second un paiement de 3 798 000 USD pour l’ amélioration de la voie d’ accès de la route principale jusqu’’au site C de Bukanga Lonzo soit 42 Km (l’estimation du coût unitaire est de 90 428 $US le Km).

Après analyse de ces deux paiements, les auditeurs ont estimé que la route d’ accès au Parc Bukanga Lonzo n’a pas été gravillonnée, le coût unitaire de la deuxième facture est trop élevé en le comparant à celui de la première facture. Ensuite, aucun contrat n’ a été signé pour l’ exécution de ces travaux, le contrôle technique des travaux sur la route par les experts de l’Office de Route ou de l’Office des Voiries et Drainage n’a pas été effectué. La destination des recettes du projet Bukanga Lonzo n’a été identifié.

UN NOUVEAU CAP POUR 2021 ?

Même si le rapport d’audit de Ernest et Yong laisse entrevoir une situation catastrophique, l’aube d’un espoir reste envisageable.

l’Inspecteur général des finances (IGF) Jules Alingete affirme que le projet agricole de Bukanga Lonzo a été un échec planifié dans sa conception. Ce projet, selon lui, a englouti plus de 200 millions de dollars du trésor public.

Sur un budget global de 285 millions de dollars décaissé par le trésor public, l’IGF révèle que seuls 80 millions ont réellement été utilisés au bénéfice de ce projet. L’État a donc perdu 205 millions de dollars.

Quant aux auteurs de ce gouffre, Jules Alingete renseigne que six personnes sont identifiées, dont deux sont couvertes par des immunités parlementaires, un expatrié et deux autres Congolais dont l’un serait en fuite en dehors du pays. Nous espérons que justice sera rendue 

Une relance des activités est déjà en cours. En mars 2021, le Parc Agro Industriel de Bukanga Lonzo a donné ses premiers fruits après la relance des activités agricoles. Une première récolte de maïs planté sur 1 500 hectares a été réalisée. L’équipe de la coordination du Parc de Bukanga Lonzo entend produire 6 000 tonnes après transformation.

Le gouvernement se serait-il mordu la queeu en déclassant des fonds pour un gigantesque projet qui n’a pas profité à l’intérêt public? Les choses se seraient-elles passées autrement si la passation du marché avait été faite auprès d’une entreprise Congolaise ? 

A l’heure actuelle, nul ne saurait répondre à ces questions. Nous en saurons plus à l’issue du procès des gestionnaires du projet.